LE SPIRIT-MEDIUM

Omniprésent dans toutes les cultures historiques subsahariennes, le spirit-medium, ou medium, est un spécialiste des états de conscience transpersonnels ou «holotrophes», suivant le mot de Stanislav Grof, psychothérapeute contemporain de renommée internationale.

Les mediums du Zimbabwe étaient réputés dans toute l’Afrique subsaharienne et occupaient des positions sociales prestigieuses. Ils jouèrent un rôle déterminant au cours du premier chimurenga (soulèvement massif contre l’occupant anglais) en 1890, puis de nouveau au cours du second chimurenga qui devait déboucher sur l’indépendance du Zimbabwe en 1980. Les mediums incarnaient les principes culturels essentiels qui permettaient d’établir une continuité entre les anciennes et les jeunes générations. La figure ancestrale de la culture Shona, Mbuya Nehanda, remonte à des milliers d’années d’histoire zimbabwéenne: elle s’exprimait au travers de ses mediums. Le dernier d’entre eux fut exécuté en 1898 par le gouvernement colonial car il avait appelé à l’insurrection pendant le premier chimurenga.

Le medium est chargé de maintenir l’équilibre psychologique et spirituel de la société, en garantissant que toutes les actions entreprises tiennent compte des lois transcendantes de la relation, véritable pierre-angulaire de la philosophie africaine.

Les bâtons sacrés portés par les mediums font partie des objets les plus signifiants, si l’on s’en tient à leur qualité et à la nature de leurs motifs sculptés. Ces derniers représentent souvent le lion, le serpent ou le crocodile, trois symboles de transcendance, et de l’impérative nécessité de vivre en respectant les principes métaphysiques [inscrits dans le langage symbolique].

Au travail avec un puissant medium (N’anga) à Murewa, Zimbabwe.

Au travail avec un puissant medium (N’anga) à Murewa, Zimbabwe.

 
Ce sekuru, vieillard respecté du village de Mudzi, me fit forte impression : il avait décidé qu’il n’appartenait plus au règne des vivants, et refusait en conséquence de parler. Il outrepassait son rôle, avant de trépasser lui-même.

Ce sekuru, vieillard respecté du village de Mudzi, me fit forte impression : il avait décidé qu’il n’appartenait plus au règne des vivants, et refusait en conséquence de parler. Il outrepassait son rôle, avant de trépasser lui-même.

 


SYMBOLE DU BATON SACRE

Le bâton sacré est l’une des « icônes » de la culture zimbabwéenne. Il manifeste l’autorité de son détenteur, qu’il s’agisse du medium, du chef coutumier (de «tribu»), voire du chef de famille. Le bâton sacré symbolise le poids de l’autorité, car son détenteur est chargé de préserver les principes culturels, et de les transmettre à celui ou celle qui héritera de sa fonction sociale à sa mort. Dans la pensée africaine traditionnelle, la fonction sociale était déterminante, et comptait bien plus que l’individu. Car cette fonction suffisait à «élever» celui qui l’exerçait au-dessus du monde séculier, et le ou la plaçait au sein d’une chaine symbolique ininterrompue, rattachée au fondateur de la tribu, et plus fondamentalement à l’origine de l’humanité.

Le bâton sacré a toujours exercé une fonction symbolique très puissante dans la culture zimbabwéenne, au moins depuis l’époque d’édification du Grand Zimbabwe. Les premiers excavateurs européens, chercheurs d’or de la fin du XIXème siècle, découvrirent des bâtons de cette sorte alors qu’ils fouillaient les tombes entourant l’édifice.

«A ses côtés, si l’homme avait été important de son vivant, reposait son bâton de commandement, au pommeau d’or ouvragé, et dont la ferule,longue de six à huit pouces, était également d’or». Ces objets d’or furent par la suite fondus en lingots d’or, au tournant du siècle, par une entreprise coloniale constituée à cette seule fin: aucun ne fut conservé.

Dans les années 60, alors que le discours nationaliste se développait au Zimbabwe (ce qui devait conduire au second chimurenga), Joshua Nkomo, le chef traditionnel du peuple Ndebele, se rendait à toutes les réunions publiques muni de son «gano, bakatwa et tsvimbo» (hache, dague et bâton sacré), symboles du «réarmement spirituel», essentiel au succès de la lutte à venir*.

*African Parade

J’ai aimé photographier ces batons sacres dans leur cadre d’usage : ce sont des œuvres sculpturales très impressionnantes. La lumière d’ambiance naturelle des pièces de vie où ils se trouvent renforce davantage leur caractère…

J’ai aimé photographier ces batons sacres dans leur cadre d’usage : ce sont des œuvres sculpturales très impressionnantes. La lumière d’ambiance naturelle des pièces de vie où ils se trouvent renforce davantage leur caractère…


Art zimbabwéen contemporain 

 

Le Zimbabwe a toujours été connu comme l’un des pays les plus créatifs de l’Afrique subsaharienne. Il est donc tout naturel que le premier mouvement artistique de la région, la sculpture sur pierre, soit né au Zimbabwe. A son arrivée sur la scène de l’art internationale dans les années 70, après avoir été exposé dans les plus grands musées occidentaux tels que le Museum of Modern Art à New York, le Musée Rodin à Paris et l’Institute of Contemporary Art à Londres, ce mouvement fut décrit comme “ la forme d’art la plus importante ayant émergé de l’Afrique au cours de ce siècle” (Ray Wilkinson). Le medium choisi par les artistes était la pierre angulaire d’une réalité à la fois passée et présente, les domes de granite et les rochers faisant partie intégrale du paysage culturel et spirituel zimbabwéen. La serpentine, disponible en abondance, pouvait être extraite des carrières dans tout le pays avec des outils fabriqués à la main, sans aucune machine. Elle devint le medium de choix des artistes noirs pour exprimer leur identité dans un contexte colonial où toute chose africaine était à l’époque vue comme inférieure. C’était là d’ailleurs le pouvoir le plus essentiel de ces formes élémentaires, celui de s’affranchir des contraintes de la pierre tout en les épousant, de se « mouvoir au rythme des choses » et c’est la raison pour laquelle ce travail eut d’emblée un impact retentissant dans le monde de l’art contemporain. Ces formes exprimaient une puissante énergie, une affirmation  de l’être, qu’il soit humain, animal ou même hybride, un être à la fois transcendant et actuel.

Afin de survivre, l’art contemporain nécessite une collaboration entre le public, les mécènes et le marché, relations que chaque artiste se doit de négocier. En 1957, lorsque Frank Mc Ewan devint le premier directeur de la National Gallery de Rhodes, l’actuelle National Gallery du Zimbabwe, il arrivait tout droit du monde de l’art parisien où il avait notamment travaillé avec Picasso. Imprégné de l’avant-garde de Paris, il reconnut la même esthétique chez les artistes noirs du Zimbabwe et il fut le premier à leur ouvrir la voie dans une société polarisée entre l’Afrique et l’Europe. En 1988, le critique d’art  Michael Shepherd s’interrogeait dans l’Art Review : « à présent qu’Henry Moore est décédé, qui est le plus grand sculpteur sur pierre au monde ? A mon avis il n’y a que trois prétendants, et tous trois sont zimbabwéens ».

Portia Zvavahera, 2016, Embraced and protected in you, printing ink and oil bar on canvas, 210 x 400cm. Copyright the artist, courtesy Stevenson Gallery, Cape Town/Johannesburg

Portia Zvavahera, 2016, Embraced and protected in you, printing ink and oil bar on canvas, 210 x 400cm. Copyright the artist, courtesy Stevenson Gallery, Cape Town/Johannesburg

Il n’est pas facile d’effacer la conscience esthétique, l’attention portée aux questions et aux dimensions profondes de la vie qui ont marqué l’émergence du mouvement de la sculpture zimbabwéenne. On retrouve ce même désir de traiter de la condition humaine chez les jeunes peintres du Zimbabwe qui appartiennent au second mouvement artistique zimbabwéen à avoir un impact retentissant dans le monde de l’art international. Ces artistes parlent de leur expérience quotidienne dans un pays en totale désintégration. A travers leur travail, ils cherchent à interpréter leur identité et leur place dans un contexte si extraordinaire qu’il est impossible de le décrire par des mots. Cette fois, la peinture, la photographie, le graphisme, les objets appartenant à la vie des townships et le multi média de couleurs vives appliquées en gestes audacieux se fondent en métaphores personnelles, en commentaires sur le sens dans un environnement qui en est dénué.  

Sans vouloir en dresser une liste exhaustive, nous pouvons citer parmi ces jeunes peintres remarquables du Zimbabwe les noms de Kudzanai Chiurai, Virginia Chihota, Misheck Masamvu, Gareth Nyandoro, Gresham Tapiwa Nyaude, Portia Zvavahera, Amanda Mushate, Admire Kamudzengerere, Lovemore Kambudzi, Richard Mudariki, Wycliffe Mundopa, Moffat Takadiwa. La capitale du Zimbabwe, Harare, habituée aux cahots et soubresauts, s’est muée selon Valérie Kabov en « un petit El Dorado pour galeristes et collectionneurs internationaux » où chaque artiste recherche la gloire sans pour autant renoncer à ses convictions. 

Bernard Matemera, un des principaux représentants de la première génération de sculpteurs en pierre du Zimbabwe, au travail

Bernard Matemera, un des principaux représentants de la première génération de sculpteurs en pierre du Zimbabwe, au travail


Le livre Zimbabwe: Art, Symbole et Sens contient 16 chapitres. Vous pouvez commander un exemplaire ici. Ou nous écrire pour plus d’information.